Les vœux particuliers d’un des plus grands poètes albanais du XX siècle adressés à ses amis pour le Nouvel An 1937


Millosh Gjergj Nikolla, alias Migjeni
Millosh Gjergj Nikolla, alias Migjeni

Aurenc Bebja, France - 20 Janvier 2018

 

Les vœux suivants – qui nous changent de ceux “automatiques” et sans affection particulière, dont il est devenu habituel de recevoir lors des périodes de fêtes, et plus particulièrement à travers les réseaux sociaux – ont été écrits par un des plus grands poètes albanais du XX siècle, Millosh Gjergj Nikolla, surnommé Migjeni (1911 – 1938), à ses amis, pour le Nouvel An 1937.

 

Voici ce que l’auteur écrivait en 1937 :

 

« Cher ami,

 

D’habitude, je n’écris pas de carte de vœux, ni pour Noël et ni pour L’Aïd, ni pour les anniversaires et ni pour aucune autre fête. Je n’écris pas pour la simple raison qu’en ce jour particulier tout le monde en écrit. Je ne sais pas si ces vœux se réalisent à cent pour cent sachant qu’ils se sont exprimés de manière hypocrite. Les gens savent cela, mais ils continuent de le faire. Même pour la Nouvel An, je n’ai encore écrit à personne.

 

Mais cette foi-ci, je vais entrer dans la norme et vais souhaiter la Nouvel An 1937 à tous mes amis :

 

Premièrement, cher ami, je te souhaite un doux sommeil, pour que tu ne puisses écouter ni la souffrance des uns, ni l’excès de joie des autres. Que tu ne puisses pas écouter les bruits de guerre de l’Espagne. Un doux sommeil ! Que tu ne puisses pas écouter près de toi le grincement des dents causé par le froid. Sinon, tu vas te demander : pourquoi les dents grincent-elles autant ? Et la langue, à la place des dents, te répondra : parce qu’il fait froid monsieur, et quand il fait froid monsieur, le diable possède le corps, les muscles, les nerfs, monsieur, et c’est la raison pour laquelle les dents grincent monsieur. Il paraitrait alors banal de dire qu’on manque d’habits et de feu. Donc, cher ami, je te souhaite un doux sommeil.

 

Deuxièmement, après le doux sommeil, je te souhaite – tout naturellement – que tu sois heureux, toujours heureux. De cette joie immense, embrasses, sentimentalement, le parquet de ta chambre et les poteaux, tel que Greta Garbo dans le film “La Reine Christine”, quand elle gouta à l’amour divin. Sois autant heureux que le monde t’envie et qu’on dise : Qu’est-ce qu’il est heureux ! Sois heureux, même si le cœur n’y ait pas ! Soit heureux, parce que ta joie donne de l’espoir aux autres. Si ta table est instable, rigole. Si à la maison, il te reste une chaise trouée et dont tu ne peux pas t’assoir, rigole ! Si tu ne peux pas allumer un feu et tu as froid, oui, rigole ! Si un jour, par hasard, tu n’as pas de pain, prend le comme un jeu, une blague, et rigole, rigole !

 

D’ailleurs, sors dans la rue, au milieu d’un carrefour, et rigole, rigole, rigole, et le monde sera envieux et dira : Oh, qu’il est heureux ! Et quand le monde viendra dans ta maison pour comprendre les raisons de ta joie, il se rappellera de lui-même et commencera de rire hihihihahaha. La maladie du rire se répandra partout chez les gens, et eux-mêmes, tels que les singes, sauteront de joie…Et c’est comme ça, dans la joie, que je souhaite qu’on passe le Nouvel An 1937, même si cela nous rend malade. »

 

 

Migjeni, Vœux de l’An 1937

 

 

Source :

 

Le Courrier des Balkans - https://www.courrierdesbalkans.fr/Les-voeux-particuliers-d-un-des-plus-grands-poetes-albanais-du-XX-siecle