Georges Castriot dit Scanderbeg (Alexandre), le plus grand héros de la nation albanaise, décrit par le père Nicolas Caussin (1653)


Nicolas Caussin (1583 - 1651)
Nicolas Caussin (1583 - 1651)

Aurenc Bebja, France – 1 Février 2018

 

De nombreux auteurs – tels que Guillaume Rouillé (1553), Giovanni Botero (1606), Adrien de Boufflers (1608), Jacques Lavardin (1621), Pierre-François Guyot Desfontaines (1757), Stephan Zannowich (1779), Jean-René Durdent (1818), Charles Didier (1844), Camille Paganel (1855), Dora d’Istria (1866), Vico Mantegazza (1912), Germain Lefèvre – Pontalis (1913), etc… – ont écrit sur la vie et les exploits héroïques de Georges Castriot Scanderbeg (6 mai 1405 –  17 janvier 1468).

 

Le prêtre français, Nicolas Caussin, né à Troyes en 1583 et décédé en 1651, en fait également partie. Son œuvre “La Cour Sainte du Père Nicolas Caussin, de la Compagnie de Jésus, Tome Second” fût éditée à Paris deux ans après sa mort (1653). A l’intérieur, on y trouve un écrit dédié spécialement au plus grand héros des albanais.

 

Voici comment l’auteur décrivait le Grand Castriot :

 

Je vois dans Catriot quelque objet plus grand que Léonidas, et que Thémistocle, je vois Pyrrhus, je vois Alexandre, et si ses ennemis sont plus fort que ceux du Macédonien, sa vaillance n’en doit pas être estimée moindre. Il est soldat aussitôt qu’il n’ait homme, la nature s’est plu à graver l’épée sur son corps, en même temps qu’elle a inspiré le courage dans son cœur.

 

Cette taille si riche, ce visage si rempli de majesté, ces membres si forts et robustes, ces yeux qui mêlent l’Arc en ciel avec les éclairs, ces mains qui semblent n’être faites que pour porter la foudre, ces pieds qui ne font point un seul pas qui ne sentent le roi, ont annoncé de bonne heure ce que la renommée a raconté depuis à tous les siècles.

 

Petit aiglon, qui a commencé par les plus innocentes années à jouer avec les foudres, tu ne dois pas être si fort, ou tu dois avoir un père plus heureux. Dirons-nous que le sort est inutile d’avoir préparé des chaines à cette jeune vertu, lorsqu’il lui devait semer des lauriers ? Disons plutôt que la prudence est bien sage d’avoir trouvé de la matière à ce grand cœur, qui se fut consommé dans ses propres flammes, s’il n’eut trouvé des obstacles pour lui résister.

 

Il a fallut que cet Hercule commence à étouffer ses serpents de son berceau, il a fallut qu’il soit nourri au milieu des ses ennemis pour combattre dès son enfance, ce qu’il devait abattre en un âge plus mur. Son père, Jean Castriot, qui avait peu de force et beaucoup de malheur, fut contraint de le donner en otage au Turc, Amurath, pour le faire élever à sa Porte…

 

Le Serail lui imposa le nom de Scanderberg, qui est celui d’Alexandre, qu’il le prit en bon augure et remplit tout la capacité des beaux faits. Il fût nourri dans tous les exercices de la milice de l’académie des Turcs, où il réussit avec tant de force, d’adresse, d’agréments et d’approbations, que chacun le portait dans les yeux, chacun le regardait comme un singulier appui de l’Empire de Mahomet.

 

Mais lui, il portait toujours Jésus dans le cœur, toujours il pensait aux moyens qu’il trouverait pour rompre sa chaine. Il sentait au fond de son âme la plus généreuse des flammes qui le brulait incessamment du zèle qu’il avait de relever les Autels des Chrétiens abattus, et de détruire l’Etat des Ottomans.

 

Le maitre (Amurath) commença à craindre l’esclave, et avait peur de nourrir en son Sérail un lion qui était capable de lui montrer un jour les dents.

 

Il s’efforça de le perdre en divers rencontres (combats), faisant contribuer l’excès de son courage, au hasard de sa personne. Un Schyte déterminé est venu à la cour d’Amurath, provoquant les plus hardis à combattre tous nus avec le poignard dans l’enclos  d’un cercle périlleux, où il fallait nécessairement vaincre ou mourir. Celui-ci remporta plusieurs palmes sanglantes et avait pris tant de confiance en ses forces, qu’il n’y avait selon son dire que les victimes de la mort qui osassent attendre la foudre de son bras. Chacun tremblait de peur lorsque le vaillant Castriot l’entreprit, détournant son coup d’une main, le tua de l’autre, avec des cris d’oie de tous ceux que l’ennuie n’empêchait point d’applaudir à la valeur.

 

Ce combat n’ayant pas réussi pour Amurath, il suscite dans une occasion un Cavalier Persan qui faisait rage de combattre à cheval, avec la lance. C’était un homme consommé en ce métier, qui de gaité de cœur se transportait aux villes et aux provinces, où il se promettait de trouver des adversaires pour exercer ses armes et accroitre sa réputation. Il voltigeait pour lors dans la lice superbement empanaché et ses armes flamboyantes le faisaient paraitre ce jour-là, ainsi que le grand Astre d’Orion parmi les moindres étoiles.

 

Il fallait un David à ce Goliath, notre jeune Alexandre l’attaque, fonce sur lui comme un aigle, le mène rudement et le terrasse enfin sur le sable, vomissant l’âme avec le sang, et faisant un triste hommage à la valeur par une juste peine de sa témérité.

 

Mais Amurath, qui jouait le personnage de Saül, ne manqua pas de trouver des nouvelles occasions pour exercer son David. Il lui donna tous les emplois les plus hasardeux de la guerre, où il réussissait si dignement, qu’il changeait en trophées tous les sujets de sa ruine et retournait couvert de lauriers du fond des abymes, et de la gueule des lions.

 

Le perfide Sultan l’entretenait de belles paroles…Il lui promettait de lui rendre les Etats après la mort de son père, me le dernier jour de Jean Castriot fit paraitre que si ses paroles étaient pleines d’artifices, ses promesses  n’avaient que du vent.

 

Scanderbeg impatient d’attendre ce qui ne devait jamais venir, se paie par ses mains et s’empare du Royaume d’Albanie, jouant la fin par une contre finesse. L’alarme est dans le Sérail et toutes les passions d’Amurath ne tendent plus qu’à la vengeance. Hali Bassa est envoyé avec une armée de 40 milles hommes pour accommoder cette affaire. Mais toutes ses troupes sont taillées en pièces et n’a rien de plus honorable en son expédition, que d’être vaincu par le brave Castriot, Feria et Moustapha poursuivent le même destin avec de nouvelles forces, qui expérimentent le même sort.

 

Que dirons d’avantage de la grandeur du Scanderbeg ? Amurath prie, le Turban s’humilie : ce visage de Tyran, qui était celui de la cruauté même, s’amollit et prend des traits d’un suppliant, après avoir porté toute sa vie ceux de la rigueur. Il demanda la paix et on lui refuse, il recherche un accord et on le méprise. Son arrogance piquée ne vomit plus que des tourbillons de feu, et s’en vient fondre devant Croye, la ville capitale du vaillant Castriot, avec une armée de 200 milles. Une seule place arrête ce grand déluge de soldats, l’orage se dissipe, le siège se leu, la honte en demeure sur ce visage de Sultan, avec une teinture si vieux, qu’il faut que l’ombre de la mort y passe pour l’effacer. Celui qui avait vécu de gloire meurt de la tristesse de son ignominie et emporte en l’autre monde l’impuissance de se venger et un désir eternel  de la vengeance.

 

Mahomet, son fils, le fléau et la terreur de l’Univers, qui a renversé deux Empires, pris deux cents villes, tué 20 millions d’hommes, vient échouer à ce même rocher. Fallait-il tant de sang pour écrire sur les trophées de Castriot le titre d’Invincible ?

 

Qui aurait dit qu’un homme mortel en soit venu jusqu’à là ? Qui aurait cru que ses exploits seraient les effets d’un esclave ? Certes, il faut avouer qu’il a prêté son nom à Dieu en tout ceci, mais Dieu lui a prêté son bras.

 

On dit de lui que jamais il ne refusa le combat, jamais il ne tourna le dos, jamais ne fut blessé, qu’une fois fort légèrement. Il a tué deux milles barbares de sa main, qu’il fondait ordinairement de son cou. Mahomet voulut voir ce foudre qu’il portait dans ses mains, et l’eut en vénération, quoi tant de fois arrosé du sang des ses sujets. Il a eu l’acier, mais jamais le bras qui l’animait.

 

O brave Castriot, si l’Etat des Chrétiens a pu être délivré de la tyrannie des Sultans, ce devait être par tes mains. Il faut avouer que nos plaies étaient irrémédiables puisque nos divisions nous empêchèrent d’expérimenter les secours d’une main si divine.  La fièvre qui t’enleva dans la ville de Lisse (Lezhë), au climatérique de sept et neuf, le plus à craindre aux vieillards, éteignit toutes nos espérances par les mêmes ardeurs qui consommaient ton corps. Après avoir vécu le plus admirable des capitaines, tu es mort en vrai religieux, attendrissant les cœurs de tous ceux qui te contemplaient par une dévotion très sensible. Ton esprit victorieux s’envola sur les Palais de la belle Sion, après avoir fait dans le corps tout ce que pouvaient une très haute vertu et un bonheur à qui rien ne manquait que d’avoir des imitateurs.

 

Les plus barbares de tes ennemis ont embrassé ton tombeau et partagé tes os, comme les plus chères reliques de la valeur. Et maintenant, tu n’as plus besoin de tombeau à trouver parce que ta mémoire a trouvé autant de monuments qu’il y a de cœurs en tous les siècles.

 

 

Source : https://www.courrierdesbalkans.fr/Georges-Castriot-surnomme-Scanderbeg-Alexandre-le-plus-grand-heros-de-la-nation